Le casque, bordel, le casque !
Mettez le casque. Je sais que vous ne m’écouterez pas,
comme je n’ai pas écouté quand on me disait : « Te marie pas ! Te marie pas ! ». Les conséquences en sont les mêmes, on en meurt parfois.
Des fois, je parle mal. J’écris mal. Des gros mots.
Mais c’est nécessaire, ça choque mais ça fait du bien ! Un jour du mois de mai, du joli mois de mai, tu parles. Bloody Sunday. Non : Bloody Monday. Il pleuvait. J’ai dérapé sur la route
départementale, ai rattrapé de justesse mon véhicule. Plus loin, j’ai vu d’autres voitures arrêtées au milieu de la chaussée. Je me suis dit : « Tiens, y’en a d’autres qui ont fait
comme moi ». Mais plus j’approchais, plus la scène se précisait.
Du monde au milieu, des gens qui gesticulent, qui
arrêtent les automobilistes. Au loin, sur le bitume, j’aperçois quelqu’un allongé. Je comprends alors que l’accident semble plus grave que je ne l’avais supposé. J’arrive au carrefour, stoppe ma
voiture, prends mes gants en latex, mon portable, et j’accours.
Les victimes dans le véhicule semblent peu atteintes,
mais je n’ai pas le temps de faire un bilan car les deux autres me semblent prioritaires : une jeune fille qui gémit, qui demande du secours,
que je calme un peu en lui expliquant qu’à coté, il y a une autre victime dont il faut absolument s’occuper ; et bien sûr cette seconde fille, qui ne répond déjà plus…
« Elle est inconsciente ! » me lance un
témoin. Il y a deux victimes dans un véhicule en contrebas, deux sur la route, deux jeunes filles en scooter. Je gère comme je peux, les témoins ne s’affolent pas, c’est déjà çà. Coup de fil au
« 18 » : « AVP sur la D13 entre Hérépian et Saint-Gervais-sur-Mare à hauteur du carrefour de Bardejean (…) Un véhicule en cause et un scooter (…) Deux personnes légèrement
blessées dans le véhicule en contrebas qui a fait plusieurs tonneaux, deux victimes de 12 et 15 ans environ (…) Une jeune de 12 ans ne sent plus ses
membres inférieurs(…) La victime de15 ans environ est en arrêt (…) J’attaque un massage, il nous faut du monde (…) »
Du monde, il en arrive. Je ne réfléchis pas. Si, j’ai
réfléchi deux secondes, avant de faire un bouche à bouche sur une victime en sang. J’ai mis un drap sur sa bouche, et tant pis. Puis un autre témoin m’a aidé, je lui ai demandé de faire le bouche
à bouche pendant que j’effectuais le massage cardiaque.
Les pompiers tardaient, comme c’est le cas à chaque
fois ! Non, ils ne tardaient pas, mais ces minutes étaient interminables pour tous ceux qui étaient là. Une femme m’a abrité un peu sous son parapluie. Une autre m’a dit de ne pas insister,
vu que… Oui, j’avais vu que. Mais j’avais décidé de ne pas interrompre le massage, au moins jusqu’à l’arrivée des pompiers. Après, ma foi, ce ne serait plus à moi de jouer.
Drôle de jeu. J’avais déjà ranimé une personne de 85
ans, et j’en avais été fier, quinze jours seulement après avoir passé mon CFAPSE (certificat de formation aux activités de premiers secours en équipe). Et puis j’en avais vu d’autres, des malaises, des accidents, au fil du temps. Des interventions, j’en avais fait, en tant que sapeur pompier volontaire.
Certaines marquent plus que d’autres. On a tous en mémoire l’accident du jeune Alexandre, décédé à 16 ans deux jours plus tard à Montpellier. Et là, aujourd’hui, sous cette pluie battante et froide, c’était encore la vie d’une jeune de 15 ans qui nous filait entre
les doigts. Et je n’étais plus sapeur pompier, mais qu’importe.
Les secours sont arrivés de trois casernes
différentes, suivis d’une ambulance et du Dragon 34, le fameux hélicoptère des sapeurs pompiers de l’Hérault. J’avais froid. Je me suis relevé, suis allé saluer quelques sapeurs que je
connaissais et suis resté là encore un peu. J’ai fait le numéro des parents de la jeune fille de 12 ans qui demandait à ce que quelqu’un leur dise.
Et j’ai tourné le dos et suis revenu à ma voiture quand les pompiers ont tiré une couverture sur le corps de la fille de 15 ans, dont j’apprendrai le lendemain qu’elle était la fille d’un pompier
de Bédarieux. Un hommage lui a été rendu sur le blog http://pompierssaintgervais.over-blog.fr
Je suis passé enfin par la clinique pour me nettoyer
un peu, et, de retour chez moi, j’ai passé et repassé quatre fois mon pantalon tout neuf à la lessive ! Et j’ai raconté cette anecdote à ma fille, et à d’autres filles que je connais, et à
d’autres jeunes, les implorant : « Bordel, mettez le casque ! ».
Mais je sais que ça ne servira à rien. Et je sais que
demain, il y aura d’autres morts sur les routes. N’empêche, je ne me lasserai pas : Bordel, mettez le casque !