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Informations, billets d'humour et d'humeur, photos, en toute liberté et indépendance.

midi libre: alors, on fait quoi ?

Une page va t-elle se tourner ? Et ainsi clôturer un chapitre d'un livre déjà bien épais. 23 années au Midi Libre, ça compte. Aujourd'hui, c'est partir ou être viré. Partir, parce que je suis démotivé, que je ne cautionne plus les nouvelles orientations, après tant d'années au service de ce journal. Être viré, parce que les correspondants qui râlent sont systématiquement mis à l'index. Les premiers à avoir alerté les médias de la crise qui couvait ont déjà été remerciés en février. La crise minait, elle est là, et il faudra prendre une décision, aussi pénible soit-elle.

 

On ne m'appellera plus pour aller faire des photos dès les premiers flocons de neige tombés, pour aller couvrir une manifestation, un accident de la route, un feu de forêt. Ça va faire un grand vide, et il faudra m'y habituer. Si je pars, cela se fera sans regret. Je m'en explique.

midi libre: alors, on fait quoi ?

Le fait d'être souvent coupé, tronçonné, censuré, est certes frustrant, mais je comprends les secrétaires de rédaction qui ont des impératifs, comme des corrections et autres ajustements à faire. Combien de fois ai-je envoyé mes annonces, mes alertes, mes comptes-rendus, ou mes articles d'initiative, en écrivant : « Faites-en ce que vous voulez » ? Car nous ne sommes pas maîtres de nos productions, nous les soumettons aux rédactions qui sont libres de les publier telles quelles ou de les corriger. Je râlais quand les articles étaient refusés, mais je comprenais. A l'inverse, quelle satisfaction, quand j'étais publié, et quand je recevais les félicitations de la rédaction ! Mais, ça, c'était avant, et il y a bien longtemps. « Je tenais à vous remercier et à vous féliciter pour le travail que vous avez fait hier (…) J'ai insisté pour que votre signature apparaisse à la fin de l'article (…) » ; ou encore : « Merci pour votre travail , nous ré-acheminons vers le service des infos qu'il peut inspirer pour la réalisation d'un dossier (... ». C'était avant, dans les années 2000.

J'ai « joué le jeu », comme on dit, depuis plus de vingt ans, suivant les conseils, alertant sur des faits divers, allant même jusqu'à Montpellier apporter mes pellicules (oui, c'est de la préhistoire), signant aussi ce qu'on appelait à l'époque des « articles d'initiative », etc. Car c'était motivant alors, de « pondre » autre chose que quatre lignes pour les rubriques des chiens écrasés, c'était motivant d'écrire sans compter le nombre de signes à ne pas dépasser.

C'est un fait : le Midi Libre de 2025 a changé. Vingt-trois ans de bons et loyaux services pour en arriver là... A cela, nos chefs pourront alors nous dire (c'est écrit quelque part dans le memento) : « En cas de rupture de confiance, la collaboration cessera de fait sans autre forme de procès ».

Car, de statut, nous n'en avons pas. Nous ne sommes pas salariés, nous ne sommes pas journalistes professionnels, nous avons plus de devoirs que de droits. Mais nous réclamons un minimum de considération.

midi libre: alors, on fait quoi ?

Nous avons réagi il y a quelque temps à l'explication (fumeuse) de l'empreinte carbone pour nous supprimer le journal chaque matin dans notre boite aux lettres (ajoutée à celle du Covid et de la guerre en Ukraine) : et si Midi Libre faisait des économies ailleurs que l'impression de quelques centaines d'exemplaires du journal ? Moins de cocktails, moins d'opérations séduction, moins de suppléments, moins de partenariats ou d'achats de chaînes de télévision, ou peut-être même suppression de la fête des correspondants (qui nous rassemble une fois l'an pour nous entendre dire que nous sommes leurs yeux et leurs oreilles, et, le coup de pommade passé, nous retournons à la maison avec sous le bras la belle plaquette sur papier glacé et dans la poche un stylo Midi Libre).

 

Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase est arrivée au début 2025, après une vidéo-conférence nous annonçant que les honoraires de nos productions seraient revues à la baisse. Entre 7% et 33% selon les catégories d'articles produits. On le dit assez : il ne faut pas toucher aux porte-feuilles ! Travailler plus pour gagner moins est certes un slogan à la mode, mais il ne faut pas pousser mémé dans les orties. En désaccord avec le journal qui n'a aucun respect pour ses correspondants, je rends mon stylo et mon clavier. La situation se dégrade dans tous les journaux, lentement mais sûrement. Hormis le fait que les correspondants sont depuis longtemps payés « au lance-pierre », car être correspondant de presse, c'est une passion, plus une passion qu'un revenu permettant de (sur)vivre.

 

Si tous ces inconvénients ne datent pas d'hier, voilà que les nouvelles décisions de ce début d'année 2025 ont suscité l'inquiétude et le mécontentement des CLP du Midi Libre : baisser, sans concertation, nos honoraires au 1er février 2025. Des restrictions annoncées... par visioconférence. Réactions indignées, tentatives de concertation et de dialogue, communiqués, et voilà que le mouvement prenait de l'ampleur. Alors que, jusqu'ici, les correspondants étaient dans leur coin sans se connaître vraiment, ils décident de se mobiliser. Nombre d'entre-eux adhèrent alors au CNCLP, collectif national des correspondants locaux de presse dont j'étais déjà adhérent, association qui œuvre depuis 2021 pour rassembler, informer, et agir. Aujourd'hui, même les élus du Gard réagissent par des communiqués nous soutenant (on attend la réaction des élus de l'Hérault – ainsi que celles des communes pour lesquelles je suis correspondant et à qui j'ai exposé le problème le 28 février...). Le CNCLP et la CFDT Journalistes ont été les premiers à saluer les témoignages de solidarité des élus du Gard adressés aux correspondants locaux. Ils soutiennent nos revendications, et « exigent dans un premier temps, le rétablissement le plus rapide possible des tarifs de correspondance », ajoutant : « Une fois de plus, il est intolérable que les correspondants locaux de presse (CLP), déjà extrêmement précaires, servent de variable d’ajustement à des titres comme Midi Libre, pour réaliser des économies, et ce quelque soit le contexte économique ».

 

midi libre: alors, on fait quoi ?

Mais voilà, résister, c'est s'exposer aux coups de règle sur les doigts. Ainsi, un premier correspondant a été viré à Béziers, puis une autre, sans compter les démissions de celles et ceux qui jettent l'éponge par dépit. Colère dans les rangs, et reprise de la mobilisation. « Viré, et comment ? » dit l'un d'eux, puisque nous ne sommes pas salariés. Oui mais voilà, il y a cette « rupture de confiance »... Entre-temps, la direction envoie un communiqué à tous ses correspondants, qui vaut son pesant de cacahuètes : « Depuis quelques jours, notre journal subit publiquement une campagne calomnieuse, mensongère et diffamatoire. Avec en parallèle une grave manipulation visant le réseau dont vous êtes. La justice s’occupera du sujet ». Oh, l'intimidation ! Alors, bien sûr, on y parle aussi de « récentes restructurations nécessaires » ; il n'est pas question pour le titre de « réduction du nombre de correspondants », « ni même de recours à des agrégats de contenus livrés par de l’intelligence artificielle ». Nous nous en trouvons grandement satisfaits ! Sauf que l'effet escompté s'est traduit par un effet inverse : les correspondants, en colère, se sont regroupés pour se mobiliser. Ils ont ouvert un compte WhatsApp pour enfin se connaître mieux et échanger, ils ont menacé de ne plus envoyer d'articles à leur rédaction à compter du 8 mars... et ils ont mis leur menace à exécution.

Leur principale revendication est celle qui concerne la diminution de leurs honoraires, mais le message envoyé aux correspondants met en cause les nouvelles orientations. « Calibrage qui permettra de donner la possibilité aux correspondants qui le souhaitent de prendre le virage de la vidéo, premier format lu désormais ». « Un nouveau calibrage qui correspond à l'attente des lecteurs ». Ah bon, on leur a demandé leur avis, aux lecteurs, et d'autant plus aux lecteurs plus âgés, dans les villages, qui auront sûrement plus de difficultés à se mettre aux écrans plutôt que d'ouvrir leur quotidien ? Conclusion : « En votre qualité de correspondant, il est important que vous ayez ces éléments en tête pour bien comprendre le cadre de la collaboration qui nous lie. Et éviter de tomber dans le piège d’une manipulation condamnable. Attention aux propos ou intentions qui travestissent la réalité. Des attitudes qui n’ont rien d’acceptables, totalement contraire à la nature de relation qui est la nôtre, mais surtout à la loi ». Aïe. On ne va donc pas dénigrer, critiquer, salir, diffamer, on va rester zen et rester factuel. D'ailleurs, on reste ami-ami : « Enfin, rappelons que les ateliers d’accompagnement (“traiter les annonces”, “traiter les comptes-rendus” et “les bonnes images avec son smartphone”) se poursuivent dans toute notre zone de diffusion. Ne manquez pas de faire savoir à l’assistante de votre agence de rattachement votre intérêt et vos disponibilités pour un ou plusieurs de ces rendez-vous ». Décidément, depuis quelque temps, les rédactions et les correspondants ne sont plus sur la même longueur d'ondes...

 

Des années à ne jamais faire de rétention d'information, à recueillir les avis divergents, à séparer les faits des commentaires, à rester neutre, à répondre présent, à rester politiquement correct, basta ! Ça ne m'amuse plus. Déontologiquement, ça ne passe plus. De plus, c'est la nouvelle orientation du journal qui me déplaît, avec d'abord ce virage vers le tout vidéo, ensuite avec la nouvelle communication qui consiste à mettre en ligne des titres racoleurs, anxiogènes, et des informations qui ne sont ni locales ni régionales mais qui concernent l'étranger. On copie les petits copains, « on vous dit tout », « on vous explique », et on fait cliquer le lecteur, alors qu'on pourrait justement se démarquer de cette « grosse soupe » que nous déversent chaque jour les médias mainstream... Mais c'est ainsi, et il faut prendre le train en marche, de telle sorte que même les petits blogs d'infos imitent désormais leurs grands frères. Il ne reste plus qu'à faire la démarche d'aller chercher soi-même une autre information, dans des sites alternatifs, qui sont alors accusés, à défaut d'être complotistes, d'être subjectifs, orientés, engagés.

 

Il faudra donc désormais (en fonction de l'évolution de la situation) trouver une nouvelle et bonne âme charitable pour aller faire quatre photos des niveaux des rivières qui montent quand il pleut et des remises de médailles devant les monuments aux morts. Pour le reste (travaux dans les communes, conseils municipaux, projets), la communication passant toujours aussi mal, les lecteurs n'en seront pas privés ; il faudra souhaiter bonne chance à un potentiel successeur (peut-être un bénévole ?) en espérant qu'il sera neutre et ne fera pas largement usage du « copié-collé », ce qui, je l'ai toujours dit et écrit, n'est pas de l'information mais de la communication, ce journalisme de préfecture que j'ai toujours combattu. Trouver un remplaçant qui aura suivi les conseils de PPDA qui écrivait à l'époque : « Nous sommes là pour donner une image lisse du monde »...

midi libre: alors, on fait quoi ?

Car c'est la crise. Les journaux n'y échappent pas, eux qui perdent des lecteurs chaque jour. Eux qui ont vu venir sans trop anticiper l'arrivée de la presse en ligne au détriment du support papier. Aujourd'hui, on nous demande de laisser le papier pour la vidéo, puisque c'est l'avenir. Un avenir de course au scoop, moi qui ai toujours privilégié la vérification des sources, l'approfondissement des sujets, le refus du buzz. Oui mais voilà : il faut prendre le train en marche, et le journal s'est mis aux titres racoleurs, aux messages anxiogènes, suivant en cela tous les sites d'infos et d'intox qui pullulent sur la Toile. On multiplie les annonces choc, on n'approfondit plus rien et, on le sait, trop d'information tue l'information.

Regardez : même à la télé, on n'envoie plus de journalistes ou ce cameramen, on compte sur les témoignages des habitants qui ont filmé les scènes de faits divers et qui envoient leurs images tremblotantes issues de leur portable...

 

Au Midi Libre comme ailleurs, c'est le dégraissage. Le titre est en danger, comme ses petits copains. Il ne se porte pas bien du tout, et de nombreux journalistes ont déjà été licenciés (de 400 en 2010, ils sont passés à 120 en 2020, puis de nouveaux licenciements et départs volontaires ont eu lieu en 2022, avec 45 emplois supprimés dont 26 journalistes supplémentaires). La question est posée : que faire ? Les journaux ne se tirent-ils pas une balle dans le pied en agissant ainsi ? Car au fond, que souhaite le lecteur : une information locale, savoir ce qui se passe dans son coin ! Or, depuis quelques années, on réduit la pagination locale et on regroupe des éditions. Imaginez un monde sans correspondants locaux, et le journal serait bien vide. C'est la crise, sauf que le groupe La Dépêche auquel le Midi Libre fait partie est en train d'acquérir à coups de millions une société en charge de la production de plusieurs festivals... Comme l'écrivait ces jours derniers une correspondante remerciée, « La Dépêche ne veut-elle pas flinguer le Midi Libre qui lui coûte cher » ? Des questions sans réponse, tout comme celle-ci : « Le Midi Libre est-il indépendant ? ».

 

En octobre 2024, Le journal Le Monde annonçait qu'Olivier Biscaye, le directeur de la rédaction du Midi-Libre, avait été choisi pour remplacer Aurélien Viers à La Provence. Précédemment, M. Biscaye avait dirigé les rédactions du groupe Nice-Matin entre 2010 et 2014 et avait été visé par deux motions de défiance. Mais Biscaye n'était pas non plus en odeur de sainteté à Montpellier : le journal La lettre A annonçait en 2022 qu'il faisait face à une fronde de sa rédaction. Et, pendant ce temps, le groupe La Dépêche versait 1,5 million d'euros de dividendes à ses actionnaires, dans cette seconde partie de la même année 2022. Cinq mois plus tard, Baylet annonçait un plan de réduction des effectifs du Midi Libre...

Et qui arrive au Midi Libre pour le remplacer ? « Directeur adjoint des rédactions des quotidiens Nice-Matin, Var-Matin, et Monaco-Matin, Olivier Marino est fortement pressenti pour rejoindre Midi Libre comme patron de la rédaction ». Un Olivier pour en remplacer un autre en quelque sorte, l'olivier qui est, ne l'oublions pas, le symbole de réconciliation et de paix...

Le journal Le Poing de Montpellier écrivait, lui : « Le quotidien languedocien a été racheté par Le Monde en 2001 (le grand quotidien du soir n’ayant alors aucune gêne à se nourrir sur la bête, disperser les avoirs, pour financer ses projets propres). Puis il est passé sous le contrôle de Sud-Ouest (Bordeaux) en 2008, et enfin La Dépêche du Midi (Toulouse) en 2015. Au fur et à mesure, ce ne sont que disparitions et fusions d’agences locales, réduction des effectifs – mais pendant tout un temps, constitution d’un bataillon ruineux de responsables surtout gestionnaires et techniques, quoique issu des rangs les plus serviles de la rédaction – économies à tous les étages, confusion dans les missions (de simples correspondants soudain quasi rédacteurs, mais sans le statut ni la rémunération, reconversions hardies d’ouvriers du livre), systématisation des productions de communication (...) ». Dans les journaux, c'est finalement comme dans les gouvernements : on change régulièrement les têtes, mais les problèmes subsistent.

Peu nombreux sont ceux qui auraient imaginé que cette année 2025 connaîtrait un sursaut de tous les correspondants de presse, unis pour exiger au moins une reconnaissance de leur travail. Une année qui pour Midi Libre devait être exceptionnelle, avec l'anniversaire des 80 ans de la création du journal...

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Mercredi 12 mars. Des élus soutiennent le mouvement (on attend toujours la réaction des maires de nos contrées), des maires écrivent au journal, des conseils communautaires concluent leur séance par des motions de soutien... La pétition recueille à ce jour presque 900 signatures, les communiqués du collectif des correspondants s'affichent sur les vitrines des diffuseurs de presse, tabacs, sièges des correspondants... Quant à la direction du Midi Libre, elle est toujours aux abonnés absents ! Mais ce 12 mars, au domaine de Bayssan, « le groupe Midi Libre a lancé officiellement sa grande cause : la défense de la viticulture », avec le lancement d'un nouveau magazine sur papier glacé intitulé Elixir...

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