Ça y est, la maison de santé est opérationnelle ! Il paraît. La pharmacie, et le docteur, et les infirmières, et les kinés ! Je dis « il paraît », parce que aucun communiqué n'a fusé ni filtré, heureusement que les petits vieux du village nous ont servi d'informateurs. Des clients (on dit : patients) ne le savaient même pas, eux qui attendaient sagement (et patiemment donc)sur le parapet de la place...
Là-bas, avenue des Treilles, c'est tout beau, tout neuf, ça sent la peinture fraîche. Il y a un parking à proximité, et il y aura bientôt un dentiste (et, à ce qu'il paraît, une sage-femme). C'est fantastique, ou du moins c'est ce qu'on nous dit, parce que c'est une victoire à Saint-Gervais, d'avoir pu maintenir des services de santé.
Indéniable, certes, et ce sera un point positif. Pour éviter la désertification, la maison de santé pluridisciplinaire ouvre donc ses portes en regroupant divers acteurs de santé... dans une structure qu'on aurait souhaité intégrée dans l'environnement (eh oui, ne sommes-nous pas à moins de 500 mètres de notre clocher classé?), mais ceci est une autre histoire.
Ce que les habitants nous disent, en tout cas, c'est que le centre du village, qui agonisait, est bien mort, mort de sa belle mort. Fini le temps des quelques éclopés qui attendaient sur le muret de la place du quai l'ouverture du kiné. Et fini le temps des rares autochtones qui foulaient encore les pavés de la rue de Castres pour se rendre chez le médecin, puis qui traversaient encore une fois la rue pour franchir le seuil de la pharmacie. Il y a quelques années déjà qu'on nous disait que c'était bien triste. Mais cette fois, ce n'est plus triste, c'est mort. Les nouveaux trottoirs élargis (cause aux normes en vigueur) n'accueillent plus aucune chaussure, les bites érigées ne protègent plus personne, et le sable nouveau de la place peut s'écouler tranquillement et en silence à chaque pluie.Que de poésie !
René Gayraud, figure locale décédé il y a quelques années, était un devin : «Saint-Gervais ne sera bientôt plus qu'un village de résidences secondaires ainsi que les hameaux qui l'entourent. Ce sera un moyen de survie (…) L'âme qui l'a habité sera morte et avec elle sera mort aussi le vrai Saint-Gervais occitan ».
Philippe Delerm, dans « Je vais passer pour un vieux con », racontait ceci : « On allait chez Mentec (…) On ne disait pas 'la quincaillerie', 'la maison de la presse ', 'la pâtisserie', 'la pharmacie', mais Fort, Héron, Mérieu, Got. Maintenant ils sont tous fermés (…) Il y a eu un plan d'urbanisation, la place est toute neuve, avec de jolis emplacements de parking devant les commerces vides ». Car oui, avouons-le, c'est pareil ailleurs. Regardons à Bédarieux, où les commerces du centre-ville ferment les uns après les autres. Idem à Béziers. Mais ce n'est pas parce que c'est pareil ailleurs qu'on n'a pas le droit de se plaindre. Un peu, en quelque sorte, comme si vous disiez à un mec en train de mourir de faim devant votre porte : « Hé ! Regarde ! T'es quand même mieux ici qu'en Ouganda ou en Érythrée ! ».
La France va mal, et ce n'est pas un scoop. Y aurait-il une réelle prise de conscience ? On pourrait l'espérer, quand on apprend que les hyper-marchés, qui ont avalé les grandes surfaces qui elles-mêmes avaient avalé le petit commerce, commencent à souffrir à leur tour. Bien fait !
On se prend à rêver, des fois, que les gens reviennent à leurs habitudes : s'ils faisaient bosser le petit commerce, ils maintiendraient un peu de vie, et il y aurait un peu plus d'animation au village, et les gens resteraient, et les maisons ne se dégraderaient plus, et les volets seraient ouverts, et il y aurait autre chose que des assistés et des vieux, il y aurait des installations de couples, et alors là, il y aurait peut-être besoin de l'installation d'une sage-femme ! Qui ouvrirait son cabinet où elle le souhaiterait, sur la place ou dans une rue, où il y aurait des mioches qui piailleraient (oui bon, c'est chiant, les gosses qui piaillent), où les jeunes feraient pétarader leurs scooters (bon, d'accord, sont cons, ces jeunes), et le soleil brillerait pour tout le monde, et si ma tante en avait ce serait mon oncle...
Récapitulons : voyons la bouteille à moitié pleine, attendons de voir comment va fonctionner tout ce monde.